Le Parlement européen vote un projet de résolution sur la Tunisie
Le Parlement européen, vote aujourd'hui, jeudi 21 octobre 2021, un projet de résolution sur la Tunisie par le biais de cette motion :
A. considérant que la Tunisie est l’un des pays prioritaires de la politique européenne de voisinage de l’Union européenne; considérant que l’Union et la Tunisie ont exprimé le souhait d’entrer dans une nouvelle phase de relations bilatérales fondées sur des valeurs communes et un engagement mutuel à renforcer les liens politiques, économiques et culturels;
B. considérant que la Tunisie continue à faire face à des pressions socio-économiques extraordinaires, notamment en raison de la pandémie de COVID-19; considérant que la Tunisie a connu une forte baisse de sa croissance économique, après être entrée dans cette crise avec une croissance lente et des niveaux d’endettement croissants; considérant que le chômage est passé de 15 % avant la pandémie à 17, 8 % à la fin du premier trimestre de 2021; considérant que le chômage continue de toucher particulièrement les femmes (24,9 %) et les jeunes de 15 à 24 ans (40,8 %); considérant que la pauvreté et la vulnérabilité se sont accrues dans le contexte de la pandémie et que la tendance à la réduction de la pauvreté observée ces dernières années est ainsi en train de s’inverser;
C. considérant que le dixième anniversaire de la révolution tunisienne a été marqué par de nombreuses manifestations réparties dans tout le pays parce que les objectifs et la promesse de la révolution de 2011 restent non réalisés pour les Tunisiens; considérant que le système de démocratie parlementaire de la Tunisie, massivement soutenu par le Parlement européen, connait des difficultés importantes; considérant que les réformes socio-économiques promises ainsi que la réforme du secteur de la justice et de la sécurité n’ont pas progressé; considérant que les institutions n’ont pas réussi à lutter efficacement contre la corruption;
D. considérant qu’après des mois de tensions politiques, une détérioration de la situation économique, des manifestations massives et une montée en flèche des taux d’infection et des décès dus au COVID-19, le Président tunisien Kaïs Saïed a limogé le Premier ministre Hichem Mechichi et suspendu les travaux de l’Assemblée des représentants du peuple en invoquant les pouvoirs d’urgence de l’article 80 de la Constitution tunisienne;
E. considérant que, le 23 août, le Président Saïed a prolongé la suspension du Parlement, alors que la Constitution dispose que le Parlement ne peut être suspendu plus d’un mois, ce qui a suscité de vives inquiétudes au sein de la société civile;
F. considérant que, le 22 septembre, le Président Saïed a publié un décret qui lui confère les pleins pouvoirs présidentiels; considérant que, selon le décret présidentiel n° 117, la Constitution de 2014 a été suspendue, à l’exception du préambule et des deux premiers chapitres sur les dispositions générales et les droits et libertés; considérant que les dispositions transitoires confèrent au seul Président de la République la prérogative de légiférer dans tous les domaines ‑ qu’il s’agisse de l’organisation de la justice et du pouvoir judiciaire, de l’organisation de l’information et de la presse, de l’organisation des partis politiques, des syndicats, des associations, des organisations et des ordres professionnels ainsi que de leur financement, ou encore de l’organisation des forces de sécurité intérieure et des douanes, de la loi électorale, des libertés et des droits de l’homme, du statut personnel, du pouvoir local ou de la loi organique relative au budget;
G. considérant que ce décret renverse la règle universelle de la suprématie de la Constitution en plaçant les décrets-lois présidentiels au-dessus de la Constitution; considérant qu’aucun recours ne sera possible contre les décrets présidentiels; considérant que la Cour constitutionnelle prévue par la Constitution de 2014, censée observer la légalité de l’invocation de l’article 80 de la Constitution tunisienne par le Président Saïed, n’a toujours pas été mise en place;
H. considérant que les organisations de la société civile nationales et internationales mettent en garde contre les décisions prises unilatéralement par le Président Kaïs Saïed, réaffirment leur attachement indéfectible aux principes démocratiques et expriment leur profonde inquiétude face à l’absence de garde-fou;
I. considérant que, le 29 septembre, le Président Saïed a nommé Najla Bouden Romdhane au poste de Première ministre; considérant que Najla Bouden Romdhane est la première femme Première ministre en Tunisie et dans le monde arabe;
J. considérant que la composition du nouveau gouvernement de Najla Bouden Romdhane a été approuvée ce 11 octobre;
K. considérant que le Président Saïed a annoncé une feuille de route visant à établir «un véritable régime démocratique dans lequel le peuple est effectivement détenteur de la souveraineté», qui sera élaborée sous la responsabilité du Président et avec le soutien d’un comité;
L. considérant que Kaïs Saïed a remporté les élections présidentielles avec plus de 72 % des voix, selon la commission électorale, avec 2,77 millions de Tunisiens qui ont voté pour lui, dont la plupart sont des jeunes âgés de 18 à 25 ans; considérant que Kaïs Saïed reste fortement plébiscité dans les sondages; considérant qu’après sa victoire aux élections, les Tunisiens attendent le changement promis dans la lutte contre la corruption, l’élimination du népotisme et la réalisation de la justice et du développement pour les régions intérieures marginalisées, dont la population souffre de la pauvreté et du chômage depuis de nombreuses années; considérant que, depuis l’arrivée au pouvoir de Saïed, la situation a empiré notamment à cause de la pandémie de la COVID-19, qui a mis à rude épreuve le système public de santé et a perturbé profondément l’activité économique, s’ajoutant à un taux de chômage croissant et réduisant les revenus dans un pays déjà en difficulté et dont l’économie s’effondre; considérant que les disputes politiques au Parlement, les manifestations de violence et les altercations violentes entre les représentants ont éloigné les Tunisiens de la vie politique parlementaire et des politiciens de leur pays;
M. considérant que les relations sexuelles entre personnes de même sexe sont criminalisées en Tunisie et que, malgré des protections juridiques générales en matière de dignité et de lutte contre la discrimination et le harcèlement, les personnes LGBTQI+ en Tunisie sont confrontées à une violence généralisée, y compris des menaces de mort et des viols; considérant que les personnes LGBTQI+ subissent également des violences et des traitements dégradants de la part d’agents de la fonction publique;
N. considérant qu’il est nécessaire de renforcer les partenariats existants et, par ailleurs, de développer un véritable partenariat à travers lequel les intérêts des communautés des deux côtés de la Méditerranée sont pris en compte; considérant que ce partenariat doit être conçu pour travailler en particulier sur les inégalités sociales et régionales de la Tunisie;
1. se déclare préoccupé par le grave défi auquel est confrontée la transition démocratique en Tunisie; appelle le Président tunisien à rétablir les travaux de l’Assemblée des représentants du peuple et à garantir l’état de droit;
2. tout en reconnaissant la profonde division du système politique actuel qui a empêché la mise en place d’une majorité, demande que toute réforme de ce système se fasse dans le plein respect de l’ordre constitutionnel, et en particulier de la séparation des pouvoirs, et dans la pleine garantie des libertés fondamentales et des droits de l’homme;
3. souligne que les droits des personnes LGBTQI+ sont des droits de l’homme et appelle le gouvernement tunisien à décriminaliser les relations sexuelles entre personnes de même sexe et à garantir un traitement digne des personnes LGBTQI+ par les agents de la fonction publique;
4. souligne la nécessité d’un dialogue à l’échelle nationale ‑ en particulier un dialogue social avec la participation des partenaires sociaux et d’autres organisations légitimes de la société civile ‑ pour surmonter la crise politique et constitutionnelle; souligne à ce titre le rôle important et constructif, dans ce processus, de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), et du monde syndical dans son ensemble; souligne l’importance d’associer en particulier les jeunes et les femmes à ce dialogue;
5. rappelle le rôle important du groupe de soutien à la démocratie et de coordination des élections (DEG) du Parlement européen dans la construction d’un dialogue entre la société civile et les responsables politiques du pays;
6. exprime ses préoccupations quant aux difficultés socio-économiques et budgétaires actuelles et à l’impératif pour la Tunisie de mettre en œuvre des réformes adéquates visant à stimuler l’emploi et à développer une croissance sociale, durable et inclusive; déplore que l’Union n’ait pas répondu aux attentes suscitées lors de l’établissement du partenariat privilégié avec la Tunisie;
7. prévient que, dans ce moment crucial pour la Tunisie, des mesures structurelles en lien avec l’aide macro-financière ne sont pas de nature à renforcer la voie démocratique du pays;
8. s’inquiète des répercussions sur l’économie locale tunisienne, déjà fragilisée, du projet actuel d’accord de libre-échange complet et approfondi négocié entre l’Union européenne et la Tunisie; estime que celui-ci est archaïque, fortement contesté par la société civile tunisienne et ne correspond pas aux urgences du moment;
9. demande à l’Union européenne et à ses États membres de rester engagés à travailler avec le peuple tunisien pour promouvoir la démocratie, le développement économique durable et le progrès social, y compris dans les domaines du commerce, de l’investissement, du tourisme et de la culture; demande à l’Union et à ses États membres de mobiliser des ressources pour répondre aux attentes du peuple tunisien, tout en insistant sur le fait que tout soutien financier à la Tunisie doit être accompagné du rétablissement des travaux de l’Assemblée des représentants du peuple et du respect de l’état de droit et des droits civils et humains; insiste sur le fait que la base de la coopération reste le respect de la démocratie, de l’état de droit, des droits démocratiques et des droits de l’homme; réitère ses appels à la mise en place de mécanismes de suivi du respect des libertés fondamentales, de l’égalité des sexes et d’autres questions relatives aux droits de l’homme, avec la pleine participation de la société civile;
10. souligne la nécessité de favoriser l’investissement et le développement dans tous les secteurs de l’économie et de la société du pays, en particulier la création d’emplois et le maintien de services publics de qualité accessibles à tous;
11. soutient les partenariats avec les États membres de l’Union qui encouragent les approches décentralisées, ainsi que les projets de coopération menés par les autorités des États membres qui contribuent au développement de la gouvernance régionale et locale en Tunisie, de même que les partenariats et les échanges de bonnes pratiques avec les villes et les communautés locales de l’Union; appelle à un soutien accru de l’Union à la société civile dans les régions, en s’appuyant sur les initiatives existantes réussies;
12. demande à l’Union européenne d’aider la Tunisie à se procurer des vaccins et du matériel médical en nombre suffisant pour surmonter la crise sanitaire qui touche durablement le pays;
13. réaffirme que la liberté de la presse et des médias, la liberté d’expression en ligne, y compris pour les blogueurs, et hors ligne ainsi que la liberté de réunion sont des éléments vitaux et des piliers indispensables à la démocratie et à une société ouverte et pluraliste; encourage les normes de bonnes pratiques dans le secteur des médias afin de refléter réellement le journalisme d’investigation et différencié; reconnaît les effets favorables de l’accès non censuré à l’internet et aux médias numériques et sociaux; se félicite du paysage médiatique en ligne dynamique et ouvert de la Tunisie;
14. charge son Président de transmettre la présente résolution au Conseil, à la Commission, au vice-président de la Commission/haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, au gouvernement de la République tunisienne et au Président de l’Assemblée des représentants du peuple tunisien.